Première femme noire à occuper le poste de secrétaire Général de section de la FESCI, madame Esther KOUABLAN, ancienne du Lycée Sainte Marie de Cocody et de l’Université Félix Houphouët Boigny, réside aujourd’hui en Belgique où elle dirige une grande structure. L’ivoirienne, première femme et première personnalité d’Afrique subsaharienne à occuper ce poste de Directrice du MRAX, de passage en Côte d’Ivoire pour un court séjour, revient dans cet entretien sur son parcours académique, les objectifs et actions du mouvement belge qu’elle dirige, ses actions en Côte d’Ivoire et son appel aux jeunes.
Bonjour madame Esther KOUABLAN. Veuillez-vous présenter à ceux de nos lecteurs qui ne vous connaissent pas ?
Je m’appelle Esther Kouablan. Je suis ivoirienne. J’ai fait mes études à l’Université Félix Houphouët Boigny de Cocody. Après la Licence, la Maîtrise et le DEA, j’ai entamé une thèse de doctorat avant de partir en Belgique où j’ai également obtenu un Master en Sciences de l’éducation et je suis mon projet de thèse de doctorat que j’espère finir assez tôt. Ça fait plus de 17 ans que je vis en Belgique et je pilote aujourd’hui une organisation qui lutte contre les inégalités, les injustices : le MRAX. Cette organisation existe depuis plus de 70 ans. Elle a été créée à la fin de la deuxième guerre mondiale.
Je suis Psychopédagogue, et j’anime avec beaucoup de bonheur un groupe de femmes migrantes apprenantes et j’organise des séances de coaching individuel pour adultes et jeunes adultes à Bruxelles par le biais de l’asbl Collective Intelligence Développement, en abrégé « ICOLD », une association dont je suis membre fondatrice et administratrice.
Je suis également membre fondatrice de Business Femmes Actives, une organisation qui œuvre pour l’empowement et la promotion des femmes africaines dans les diasporas.
J’ai été aussi militante de la FESCI, première femme Secrétaire Générale de Section de la FESCI à Yopougon, Yop 1 & Yop 2 qu’on appelle communément le Kwazulu natal. J’ai par ailleurs travaillé dans mon bureau de la FESCI avec Damana Pickass comme premier SGA et Blé Goudé comme Secrétaire à l’Organisation pour ne citer que ces deux-là. Il y avait beaucoup de personnes qui sont aujourd’hui assez connues sur le plan politique, qui étaient dans ce bureau que je pilotais. Contrairement à mes anciens camarades syndicaux, je ne me suis jamais investie sur le terrain politique mais plutôt dans ce que je sais faire qui est de lutter contre toute forme d’injustice, lutter pour une société plus juste, lutter pour une cohésion sociale inclusive dans la société.
Parlant de cette organisation, c’est quoi le MRAX ? Ses objectifs ?
Le MRAX c’est le Mouvement contre le Racisme, l’Antisémitisme et la Xénophobie. C’est une organisation pluraliste et non communautariste, qui a été créée par des résistants juifs, les époux Jospa, lors de la deuxième guerre mondiale pour protéger les enfants des personnes qu’on envoyait dans les chambres à gaz, des personnes qu’on arrêtait. Ils permettaient à ces enfants de se cacher.
C’est ce qu’on appelait « les enfants cachés » sous Hitler. Le MRAX appelle à l’union et à l’action tous ceux qui entendent s’opposer aux discriminations, aux haines, aux préjugés fondés sur la race, la langue, l’origine ou la confession ou l’appartenance philosophique et faire triompher l’amitié et la paix entre les peuples, l’égalité et la fraternité entre les hommes. Le MRAX travaille sur la cohésion sociale et l’éducation permanente. Nous donnons des formations de sensibilisation sur les préjugés et stéréotypes en vue de prévenir les actes et discours de haine.
Nous abordons les thématiques sur toutes les formes de discrimination et intervenons dans les écoles, universités, les services publics et les entreprises privées. Nous avons également un service social qui s’occupe du droit des étrangers et un service juridique, appelé bureau de plainte qui recueille les plaintes liées au actes et discours de haine.
Vous gardez néanmoins l’objectif de lutter pour la paix dans le monde ?
Oui c’est notre mission première. D’abord en Belgique et partout où nous sommes sollicités avec un ou des partenaires hors de la Belgique. Le couple qui est à l’origine de ce mouvement avait pour finalité de faire en sorte que les peuples vivent en paix, quel que soit les lieux où ils se trouvent. Donc lutter contre le racisme, lutter contre les discriminations, c’est œuvrer pour la paix dans le monde. C’est œuvrer pour une cohésion sociale inclusive qui prend en compte toutes les composantes de la société Belge. Nous ne sommes pas une organisation communautaire, comme je disais tantôt, car nous luttons pour tout le monde.
En dehors de la Belgique, dans quel pays êtes-vous représenté également ?
Nous sommes une organisation d’utilité publique belge. Mais nous avons des partenaires à travers le monde. Par exemple au Canada, on a été invité par la Ligue des Noirs du Québec, nous y avons été et rencontré de nombreuses autres organisations qui ont dans l’objet de leurs associations des missions proches ou similaires aux nôtres. On agit plutôt partout avec les partenaires avec lesquels nous tissons des liens. Mais nous intervenons principalement en Belgique. Même s’il arrive que nous prenions part à des actions ou réagissions sur des faits au niveau international.
Quand il y a eu la sortie malheureuse du Président de la Tunisie, avec son discours xénophobe, nous sommes sortis et avons condamné cela dans un communiqué de presse. Quand il y a eu le cas de Floyd aux États Unis, nous étions sur le terrain avec le mouvement Black Live Matter pour dénoncer et demander justice.
Le MRAX a eu une forte implication dans l’élaboration de la loi Moureaux, loi du 30 juillet 1981 tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme et la xénophobie en Belgique. Cette loi vise à combattre les discours de haine, les discriminations et le harcèlement.
Des actions menées par le MRAX ?
Pour ne prendre que le cas des personnes subissant le racisme anti-noire ou les discriminations envers les populations d’ascendance africaine, je peux citer le cas des étudiants venant de l’Afrique subsaharienne qui sont généralement confrontés à des situations d’injustice, au délit de faciès. Pourtant ils ont une inscription en bonne et due forme, un visa délivré par l’office des étrangers mais ils se font arrêter à l’aéroport.
Je citerai parmi tant d’autres, le cas d’un jeune congolais et d’un jeune ivoirien pour lesquels le MRAX s’est battu aux côtés d’autres organisations et personnalités politiques belges pour obtenir la libération de ces étudiants. Voici des cas d’injustice comme ça pour lesquels nous luttons pour qu’on ait une société plus juste déjà au niveau de la Belgique mais aussi à travers le monde.
Vous êtes d’origine ivoirienne à la tête d’une si grande structure. Qu’est-ce que le MRAX concrètement apporte ou peut apporter à la Côte d’Ivoire ?
Déjà plusieurs ivoiriens ont eu des problèmes en Belgique et le MRAX s’est tenu à leur côté, comme elle le fait pour l’ensemble des personnes et des nationalités qui nous sollicitent. On travaille beaucoup sur la cohésion sociale. Mais je dois préciser que je ne suis pas en Côte d’Ivoire dans le cadre professionnel, donc je n’y suis pas dans le cadre de ma fonction de directrice du MRAX mais plutôt dans un cadre privé et familial.
En effet, j’ai été invitée à participer au 4ème Marathon des Femmes de Côte d’Ivoire qui m’a décernée un prix, le prix d’Ambassadrice du MAFEMCI. Ici en Côte d’Ivoire, j’ai été invitée à donner des conférences pour sensibiliser les jeunes sur la nécessité de convoquer les bons exemples et les bons modèles dans leur parcours scolaire et estudiantin, et dont ils peuvent s’inspirer pour leur avenir. Ces conférences ont été données dans le cadre de mon expertise sur plusieurs thématiques et de mon parcours scolaire et professionnel.
J’ai deux parcours universitaires une réalisée en Côte d’Ivoire et une réalisée en Belgique, où j’ai obtenu un Master en Sciences de l’Éducation. Je suis donc psychopédagogue de formation. J’interviens à l’Université Libre de Bruxelles également depuis au moins 6 ans en Ingénierie de formation, et je suis outillée sur les questions de vivre-ensemble, de parcours de formation, je suis spécialiste en formation d’adultes, de création d’outils d’animation, de conception de contenus de formation, et j’interviens sur les problématiques liées à l’immigration et à l’empowerment, pour ne citer que cela.
Mon constat aujourd’hui est que beaucoup de jeunes en côte d’ivoire s’identifient dans des modèles qui ne prônent ni le travail ni les compétences. La facilité pour l’ascension professionnelle et sociale est devenue le chemin le plus prisé. Dans le cadre des conférences que j’ai données, les initiateurs voulaient que je sensibilise les jeunes étudiants et étudiantes sur la nécessité de la réussite qui passe par le travail et casser les stéréotypes et préjugés autour des rêves migratoires qui amènent plusieurs jeunes à mourir dans les mers dans leur quête d’un eldorado européen.
Ces conférences ont été également l’occasion de parler de cohésion sociale inclusive, de pardon parce que c’est à ce prix que la vraie paix peut être instaurée ici. La Côte d’Ivoire a traversé beaucoup de moments. Il faut beaucoup de résilience. Si on a envie que le pays se développe et continue de se développer. Il faut taire les rancœurs et aller à une vraie paix, qui passe nécessairement par une réconciliation sincère et vraie.
Le MRAX est disposé à mettre son expertise à disposition de toute institution qui le solliciterait, avec l’accord de son CA. Nous avons par exemple été sollicités par une association ivoirienne, Petit Poto Asbl, qui organise au mois de juillet en Belgique la Semaine Ivoirienne de la Culture dont la thématique de leur deuxième édition est la diversité. Si une demande est faite au MRAX pour intervenir en Côte d’Ivoire, pour sensibiliser, former et éduquer à la culture de la paix, sur les questions de discriminations, les discours et actes de haine, c’est avec plaisir que nous viendrons intervenir sur ces questions.
Quels sont vos rapports avec les anciens responsables de la FESCI, vos camarades de lutte qui pour la plupart sont aujourd’hui des leaders politiques ?
Avec les anciens camarades nous entretenons des rapports cordiaux. C’est vrai que nous sommes sortis de la phase estudiantine où nous étions militants, mais l’esprit de famille demeure et fait partie de l’histoire de chacun et chacune de nous. Chacun, chacune l’assume et je ne peux rejeter ce lien et ce passé même si aujourd’hui je suis dans la vie active. Je reste sensible aux questions qui touchent à l’éducation, aux questions qui touchent les jeunes, aux questions qui touchent les femmes.
De plus, je vis certes en Belgique, mais je suis aussi ivoirienne. Je revendique donc ce qu’on appelle les identités plurielles ou multiples. J’ai plusieurs identités et je les assume. Donc je garde de très bons rapports avec tous mes anciens camarades avec qui j’ai milité hier quand j’étais étudiante.
Comme toujours, je plaide pour que l’humain soit mis au cœur des actes que les uns et les autres posent, personnalité politique ou pas, personne publique ou pas, nous devons chacun à son niveau œuvrer pour la cohésion sociale de cette nation.
Nous sommes à la fin de notre entretien. Un mot de fin ?
Je trouve parfois dommage que la Côte d’Ivoire ait plein de compétences à l’extérieur mais pas utilisées. Comme dit l’adage, on n’est pas prophète chez soi. En Belgique, j’ai l’occasion de collaborer régulièrement avec des ministres ou leur cabinet, de prendre la parole dans les médias écrits comme télévisés, d’être invités dans les parlements pour parler des missions qui sont celles du MRAX et faire des propositions pour l’avancée des causes que nous défendons, d’être invitée à prendre part à des réunions de haut niveaux dans de grandes institutions européennes et internationales. Juste pour dire que la diaspora a du potentiel.
Et beaucoup d’ivoiriens de la diaspora ont des capacités qui pourraient être un apport indéniable pour la Côte d’Ivoire. C’est étonnant et dommage que cette Côte d’Ivoire ne fasse pas appel à ces compétences. Mes premiers postes de direction d’entreprise, c’est en Côte d’Ivoire que je les ai occupées. Ces expériences professionnelles alliées à mes études et diplômes m’ont aidée à m’insérer dans le tissu socio-professionnel en Belgique et occuper aujourd’hui un poste de direction d’une organisation historique en Belgique.
Nous restons disponibles et il y a parmi nous de nombreux exemples avec des parcours exceptionnels qui devraient servir de modèles aux jeunes. Pas en terme d’immigration, mais en tant que modèle basé sur le travail et l’abnégation au travail bien fait.
Entretien réalisé par Nicaise BOLI