Accueil A LA UNE Sécurisation foncière rurale: La bombe de la terre

Sécurisation foncière rurale: La bombe de la terre

LA BOMBE DE LA TERRE. Le soulagement est général. Les populations se frottent les mains. De son côté, le gouvernement s’accorde un temps de répit par ce tour de passe-passe: le délai pour immatriculer la terre a été repoussé de 2023 à 2033.

C’est la deuxième fois, sous l’actuel pouvoir, que la sécurisation foncière rurale est reportée de dix ans. Car, la question de la terre, la bombe pour la Côte d’Ivoire, est un sujet inflammable. Elle a même fait l’objet de revendications de la rébellion armée durant la crise militaro-politique (septembre 2002 – avril 2011).

Le putsch du 24 décembre 1999, qui a renversé Henri Konan Bédié, et l’échec de la tentative de coup d’État, muée en rébellion armée contre le régime de Laurent Gbagbo, ont, entre autres, une origine foncière.

En effet, l’absence de cadre juridique a fait de la Côte d’Ivoire la terre promise. Et face à l’immigration sauvage, accompagnée par une colonisation tout aussi sauvage des terres rurales, et aux multiplications de violents et graves conflits intercommunautaires, comme à Fengolo (Duékoué, chef-lieu de la région du Guémon), en 1997, et à Tabou, en 1999, la Côte d’Ivoire, à travers sa représentation, a adopté à l’unanimité la loi n°98-750 du 23 décembre 1998 relative au foncier rural.

Si cette loi a rassuré les Ivoiriens dans leur ensemble, elle a parallèlement accru les campagnes de diabolisation pour dénoncer « l’ivoirité » et la xénophobie du pouvoir Bédié. L’article 26 de cette disposition excluait de la propriété foncière les étrangers et particulièrement les paysans burkinabè, qui ont jeté leur dévolu sur les terres ivoiriennes.

Bédié chassé du pouvoir, Gbagbo va payer, à son tour, les pots cassés. Ayant bénéficié du gîte et du couvert au Burkina Faso, pays alors du président Blaise Compaoré, les insurgés ont fait du foncier rural un de leurs chevaux de bataille pour renvoyer l’ascenseur.

Sans compter qu’ils seront soutenus au front par des chefs de guerre burkinabè, dont le célèbre Wirmi Amadé dit Amadé Ouérémi. Ce dernier, qui occupait illégalement la forêt classée du mont Péko, finira par payer seul, par sa condamnation à perpétuité en avril 2021, les massacres commis les 28 et 29 mars 2011 à Duékoué et faisant presque mille morts.

C’est ainsi que, le 23 janvier 2003, à la table-ronde de Linas-Marcoussis, dans la banlieue parisienne, il sera exigé et obtenu, par la loi modificative n°2004-412 du 14 août 2004, un amendement de l’article 26 querellé pour protéger les droits des propriétaires étrangers et leurs héritiers acquis antérieurement à la promulgation de la loi.

Cette brèche a accru l’arrivée encore massive des Burkinabè dans les zones forestières de l’ouest sous contrôle de la rébellion et hors-la-loi. Et c’est là que le chemin de croix va commencer pour toutes les parties.

En 2013, pour l’immatriculation du patrimoine foncier rural familial, j’ai acheté, au ministère de l’Agriculture, un formulaire appelé la liasse en vente à dix mille francs (10.000FCFA). À la direction départementale de l’Agriculture de Vavoua, lieu de situation de la parcelle, le responsable qui m’a reçu, s’est montré très sceptique. Car, expliquait-il, les géomètres-experts agréés, seuls habilités à délimiter les biens fonciers ruraux et à les « borner », n’étaient que …trois pour toute la région du Haut-Sassandra, composée de quatre départements et 23 sous-préfectures.

Et depuis onze ans, ne bénéficiant d’aucune prestation, ma liasse pourrit à la direction départementale de Vavoua. Entre temps, l’État a changé son fusil d’épaule. Par décret n°2016-590 du 3 août 2016, l’État créait l’Agence foncière rurale (AFOR), pour accélérer le processus de sécurisation du foncier rural et prévenir les nombreuses crises dans le domaine.

Face à l’ampleur de la tâche, cette agence a lancé une batterie de mesures: publicités agressives, tournées du directeur général dans des chefs-lieux de département pour la sensibilisation, etc. S’il y a des frémissements, les résultats ne sont pas à la hauteur des efforts.

D’abord, le processus est lourd et complexe, impliquant trois ministères (Acriculture, Administration du territoire et Budget). Et puis, les organes de gestion foncière rurale ne sont pas créés dans tous les villages et sous-préfectures du pays.

Ainsi, à la date du 30 septembre 2016, seulement 3.071 certificats fonciers ont été délivrés et 279 territoires des villages avaient fait l’objet de délimitation sur environ 8.571 attendus au plan national, soit 3,25%.

Ensuite, le financement de ce vaste projet relève presque entièrement de partenaires techniques et financiers extérieurs. Souvent limité dans le temps, ce financement, s’il s’interrompt, laisse en stand by la suite du programme.

Enfin, les populations n’adhèrent pas majoritairement à l’opération. Il y a des raisons relevant des pesanteurs socio-culturelles ou liées au délétère environnement socio-politique, affectant les rapports intra et intercommunautaires.

Mais le noeud gordien reste le coût prohibitif de l’établissement du certificat, le nombre réduit des géomètres-experts et l’absence d’un barême officiel, qui évolue d’un expert à un autre. Par exemple, le CGE-Fred Sarl, cabinet agréé de Daloa, définit ainsi sa grille tarifaire pour la délimitation de parcelle, qui décourage tous les paysans: zéro à 5 hectares (ha): 550.000F; 6 à 10 ha: 690.000F; 11 à 20 ha: 750.000F; 21 à 30 ha: 850.000F; 31 à 40 ha: 950.000F; 41 à 60 ha: 1.050.000F, etc.

Toutes ces raisons expliquent le très faible niveau de sécurisation foncière et la perspective d’autres conflits. Et assise sur sa bombe, la Côte d’Ivoire joue au jeu du chat et de la souris, en engageant un travail de Pénélope.

Source :Facebook Ferro Bally

NB: Titre de la rédaction