Le gouvernement a opposé un refus à la demande de la prorogation de la Révision de la liste électorale (RLE), qui se faisait avec insistance par l’opposition. Pour le PDCI-RDA, ce refus est une grave atteinte à l’expression de la démocratie et aux droits de l’homme dans le pays. Ainsi, Jean-Yves Esso Essis, cadre du vieux parti, a dénoncé ce fait dans une lettre ouverte dont nous vous proposons l’intégrale.
« Ayant attendu, avec bon espoir que cela se fasse naturellement, que les autorités de ce pays aient le courage de prendre la décision de prolonger le délai de la révision de la liste électorale, sans succès hélas, nous nous obligeons ce jour, dans une démarche uniquement citoyenne, de dénoncer haut et fort cette grave atteinte à l’expression de la démocratie et aux droits de l’homme dans notre pays, si cher à tous les ivoiriens de toutes origines et de tous bords.
Les citoyens que nous sommes constatons que les responsables du RHDP, parti au pouvoir depuis la grave crise post-électorale de 2011, sont entrain de redéployer leur stratégie électorale de 2020, le fameux « c’est bouclé, c’est géré », fondée sur le filtrage des électeurs.
Cette stratégie électorale repose sur trois (3) piliers :
- Premier pilier
Se constituer un corps électoral sur mesure par un contrôle des inscriptions sur la liste électorale.
À cette fin, il faut d’abord inscrire tous les électeurs, identifiés et localisés, dont l’intention de vote est favorable au parti au pouvoir, ensuite, empêcher l’inscription massive d’électeurs dont l’intention de vote est inconnue.
Pour atteindre cet objectif, d’une part il est organisé une révision des listes électorales de très courte durée, et d’autre part, il est opéré un démarchage de potentiels électeurs à inscrire bien avant la période de révision de la liste électorale.
- Second pilier
Priver le vote à un grand nombre d’électeurs dont l’intention de vote est inconnue. A cet effet plusieurs techniques sont mises en œuvre telles que : « la non délivrance à temps des certificats de nationalité, la multiplication d’erreurs sur les récépissés d’enrôlement, la modification du lieu de vote à l’insu des électeurs, etc ».
- Troisième pilier
Fidéliser la clientèle politique par la satisfaction de la demande sociale de biens et de services. À cet effet, nous avons même eu une innovation : c’est le recrutement officiel et public discriminatoire sans honte et sans vergogne pour un accès à l’emploi conditionné par son appartenance au RHDP, à travers le site Internet : e-emploirhdp.ci
Ainsi donc, la liste électorale, censée être l’outil par excellence d’exercice de la démocratie dans notre pays, constitue-t-elle pour le parti au pouvoir, une chasse gardée.
Nous sommes donc dans l’obligation, en tant que citoyen ivoirien, de relever que l’État de Côte d’Ivoire n’établit pas de manière transparente la liste électorale, en perspective de la présidentielle de 2025, et ce conformément à l’article 5.1 du Protocole sur la démocratie et la bonne gouvernance de la CEDEAO qui dispose que :
« Les listes électorales seront établies de manière transparente et fiable avec la participation des partis politiques et des électeurs qui peuvent les consulter en tant que de besoin. »
Lors de la dernière Révision de la Liste Électorale (RLE), établie dans la période allant du 19 octobre au 17 novembre 2024, les sites d’enrôlement disposaient d’un jour de repos par semaine, soit 26 jours de fonctionnement réels au total, et étaient ouverts de 8h à 18h, soit 10 heures par jour. De plus, nous avons eu le regret de constater par nous-mêmes, que les machines n’excédaient pas 60 enregistrements par jour.
Ainsi donc, précisément, seulement 260 heures (soit 10 jours et 20h) ont été en réalité accordées aux ivoiriens en âge de voter pour faire leurs demandes d’enrôlement.
Cette très courte période explique pourquoi l’objectif affiché des 4 millions de nouveaux électeurs à inscrire sur la liste électorale n’a pu être atteint. Seulement un peu plus d’un million de nouveaux électeurs, d’après les derniers chiffres dont nous disposons, ont réussi à se faire enrôler.
Le Comité des Droits de l’Homme des Nations Unis indique que : « Les États doivent prendre des mesures efficaces pour faire en sorte que toutes les personnes qui remplissent les conditions pour être électeurs aient la possibilité d’exercer ce droit. Lorsque l’inscription des électeurs est nécessaire, elle doit être facilitée et les obstacles à cette inscription ne doivent pas être imposés. » (Comité des Droits de l’Homme, Observation Générale N°25, paragraphe 11).
À cet effet, un délai suffisant aurait dû être alloué à l’inscription sur la liste électorale afin de donner aux électeurs toutes les chances de s’inscrire.
L’État de Côte d’Ivoire, en organisant une révision « EXPRESS » de la liste électorale n’a pas donné un délai suffisant à 3 millions d’ivoiriens pour s’inscrire sur la liste. Plutôt que de leur faciliter l’inscription conformément aux normes internationales, l’État de Côte d’Ivoire a manifestement dressé des obstacles déraisonnables qui les en a empêché.
Ainsi donc, environ 3 millions d’ivoiriens sont privés d’exercer leur droit de vote à l’élection présidentielle de 2025…
Toute restriction du droit de vote constitue une discrimination qui facilite la manipulation de l’électorat, compromettant ainsi la possibilité de tenir des élections libres, transparentes et honnêtes.
Le droit de vote est un droit de l’homme protégé par les instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme. Il est ainsi garanti par les 5 instruments juridiques internationaux suivants :
- L’article 21 de la Déclaration universelle des droits de l’homme :
« Toute personne a le droit de prendre part à la direction des affaires publiques de son pays, soit directement, soit par l’intermédiaire de représentants librement choisis. »
- L’article 25 (b) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) :
« Tout citoyen a le droit et la possibilité de voter et d’être élu, au cours d’élections périodiques, honnêtes, au suffrage universel et égal et au scrutin secret, assurant l’expression libre de la volonté des électeurs. ».
- L’article 13 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples :
« Tous les citoyens ont le droit de participer librement à la direction des affaires publiques de leur pays, soit directement, soit par l’intermédiaire de représentants librement choisis, ce, conformément aux règles édictées par la loi. ».
- Les articles 3.7, 4.2 de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance qui disposent respectivement que :
» Les États parties s’engagent à promouvoir la participation effective des citoyens aux processus démocratiques et de développement et à la gestion des affaires publiques » ;
« Les États parties considèrent la participation populaire par le biais du suffrage universel comme un droit inaliénable des peuples. ».
- L’article 1 (d) du protocole A/SP1/12/01 sur la démocratie et la bonne gouvernance de la CEDEAO :
« La participation populaire aux prises de décisions, le strict respect des principes démocratiques, et la décentralisation du pouvoir à tous les niveaux de gouvernement est déclaré principe constitutionnel communs à tous les États membres de la CEDEAO.
Au regard de ces textes qui ont été ratifiés par l’État de Côte d’Ivoire, il est à constater que le décret N°2024-792 du 05 septembre 2024 fixant la période et les modalités de Révision de la Liste Electorale est en violation totale de ces textes. L’Etat de Côte d’Ivoire a donc commis un manquement à ses obligations.
Les élections demeurant le principal moyen pour les citoyens d’exercer leur droit de participer aux affaires publiques, la décision de l’État de Côte d’Ivoire d’organiser une révision « express » de la liste électorale d’une durée de dix (10) jours et vingt (20) heures, qui entrave très clairement ce droit, est une grave violation des Droits de l’Homme et du Citoyen.
Il apparait donc indispensable, dès lors, pour tout ivoirien victime de cette décision de non prolongation de la période de révision de la liste électorale, et pour les potentiels candidats à l’élection présidentielle de 2025, ainsi que pour tous les partis politiques pour protéger les intérêts de leurs militants, DE SAISIR la Cour de Justice de la CEDEAO d’une requête pour être rétablis dans leurs droits.
Une telle requête est recevable en vertu des dispositions des articles 9 (d) et 9 (4) du Protocole Additionnel (A/SP 1/01/05) de 2005 portant amendement du Protocole (A/P.1/7/91) relatif à la Cour de Justice de la Communauté qui disposent respectivement que :
« La Cour est compétente pour l’examen des manquements des États membres aux obligations qui leur incombent en vertu du Traité, des Conventions et Protocoles, des Règlements, des décisions et des directives » ;
« La Cour est compétente pour connaître des cas de violation des droits de l’homme survenant dans tout État membre ».
Au regard du délai de onze (11) mois qui nous sépare du scrutin d’octobre 2025, la requête est à soumettre à la Procédure Accélérée sur le fondement de l’article 59 du Règlement de Procédure de la Cour qui dispose que :
« A la demande soit de la partie requérante, soit de la partie défenderesse, le président peut exceptionnellement, sur la base des faits qui lui sont présentés, l’autre partie entendue, décider de soumettre une affaire à une procédure accélérée dérogeant aux dispositions du présent règlement, lorsque l’urgence particulière de l’affaire exige que la Cour statue dans les plus brefs délais ».
Il sera ainsi sollicité de la Cour :
- Une déclaration selon laquelle en organisant une révision de la liste électorale du 19 octobre au 17 novembre 2024, en vue de l’élection présidentielle d’octobre 2025, l’État de Côte d’Ivoire a violé ses obligations en matière de Droits de l’Homme en vertu du droit international des Droits de l’Homme, notamment, le droit de vote ;
- Une ordonnance mandatant et obligeant l’État de Côte d’Ivoire à prendre toutes les mesures nécessaires afin que les victimes soient rétablies dans leurs droits ;
- Une ordonnance mandatant et contraignant l’État de Côte d’Ivoire à établir la liste électorale de manière transparente.
Cela permettra de soutenir officiellement que l’État de Côte d’Ivoire n’est manifestement pas dans une dynamique d’organisation d’une élection présidentielle transparente, libre et honnête, le 25 octobre 2025.
À défaut de la correction de tous ces manquements, le résultat de l’élection présidentielle du 25 octobre 2025, ne sera pas conforme aux standards internationaux de démocratie. Aussi, faudrait-il se mobiliser pour pousser la CEDEAO à envoyer, dès maintenant, une mission d’information préélectorale pour constater et évaluer l’état de préparation de la prochaine élection présidentielle de 2025, conformément à ses propres textes :
« A l’approche d’une élection devant se tenir dans un État membre, le Secrétaire Exécutif de la CEDEAO envoie dans le pays concerné une mission d’information. » (article 13.1 du protocole A/SP1/12/01 sur la démocratie et la bonne gouvernance).
Cette mission pourrait être élargie à l’Union Africaine et aux Nations Unis.
Tous les ivoiriens, la société civile, les partis politiques et les candidats potentiels ont intérêt à agir et doivent sans délai débuter la phase du contentieux préélectoral par une contestation de la dernière révision de la liste électorale.
À cet effet, en sus de la saisine de la Cour de justice de la CEDEAO, il faut dès à présent, d’une part signaler au Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) les violations des Droits de l’Homme à l’approche de l’élection présidentielle de 2025, en particulier, les violations du droit à la participation aux élections, et d’autre part, demander au HCDH de mener des enquêtes ou des missions d’établissement à des fins d’alerte précoce et de prévention sur ces faits liés aux élections faisant craindre des violences.
Se mobiliser dès à présent et sans délais pour assurer l’inaltérabilité́ de la souveraineté du peuple ivoirien qui s’exprime à travers des élections transparentes et démocratiques, tel que proclamé dans le Préambule de la Constitution Ivoirienne.
Jean-Yves Esso Essis
Citoyen ivoirien ».
Georges Badiel