Cinq détenus tués, 29 blessés, une opération de sécurité qui tourne au drame et relance le débat sur l’état critique des établissements pénitentiaires ivoiriens.
Le mardi 3 mai 2025, une opération de fouille ordinaire à la Maison pénale de Bouaké a pris une tournure tragique, causant la mort de cinq détenus et faisant 29 blessés, dont six agents pénitentiaires. Selon le communiqué du Parquet du Tribunal de Première Instance de Bouaké, c’est dans le Bâtiment E, réputé pour sa surpopulation et la dangerosité de certains détenus, que l’intervention a dégénéré en mutinerie violente.
Lourdement armés d’armes artisanales et de projectiles, plusieurs détenus ont attaqué les agents venus effectuer des fouilles. La réaction des forces de l’ordre, y compris des tirs de sommation, n’a pas suffi à contenir la violence. Il a fallu l’appui de la Gendarmerie et de la Police nationale pour ramener le calme. L’opération a néanmoins permis de découvrir un arsenal préoccupant : trois grenades, plusieurs armes blanches, dix-huit téléphones, du cannabis et des plaquettes de Tramadol.
Des chiffres qui interrogent
L’incident de Bouaké s’inscrit dans une série de drames en milieu carcéral. Selon les données du Ministère de la Justice, la Côte d’Ivoire compte 34 établissements pénitentiaires pour une capacité théorique d’environ 9 000 détenus. Or, au 31 décembre 2024, on recensait plus de 22 000 personnes incarcérées, soit un taux d’occupation de 244 %, bien au-dessus des normes recommandées par les Nations Unies (110 % maximum).
Ce genre de tournure devient récurrent.
En 2017 – Prison d’Abidjan (MACA) : une fouille avait permis la saisie de 120 téléphones, plusieurs kilogrammes de cannabis et des armes blanches. Des échauffourées avaient éclaté, faisant 3 blessés.
En 2020 – Maison d’arrêt de Daloa : une mutinerie pour dénoncer les conditions de détention avait fait 2 morts et 12 blessés.
En 2023 – Centre pénitentiaire d’Adzopé : après la mort suspecte d’un détenu, des violences avaient éclaté, forçant une répression brutale par les forces de sécurité.
Des structures à bout de souffle
La répétition de ces incidents souligne l’échec structurel du système pénitentiaire ivoirien. La vétusté des bâtiments, certains datant de l’époque coloniale, s’ajoute à une carence criante en personnel qualifié. Le ratio actuel est d’un agent pour 32 détenus, quand la norme internationale en recommande un pour 10.
Les autorités ont multiplié les promesses de réformes, notamment à travers le Plan national de réforme de la Justice 2021-2026, mais les investissements restent insuffisants. En 2024, moins de 1 % du budget national a été alloué à l’administration pénitentiaire.
L’impératif d’une réforme en profondeur
La tragédie de Bouaké pourrait devenir un catalyseur de réforme si elle est suivie d’actes concrets. Plusieurs experts recommandent :
La construction de nouveaux établissements pour désengorger les prisons existantes.un audit sur la sécurité pénitentiaire et les circuits de contrebande.une réforme du régime de détention préventive, qui représente encore près de 40 % de la population carcérale,le renforcement des programmes de réinsertion et d’encadrement psychologique, largement insuffisants à ce jour.
En attendant, la prison reste, pour beaucoup, un lieu de survie plus que de réhabilitation.
TKF