Un contact inédit après plus de cinq ans d’un froid glacial entre les deux hommes.
Alassane Ouattara et Guillaume Soro.
Le coup de téléphone s’est tenu dans le plus grand secret. Selon les informations d’Africa Intelligence, le chef de l’État ivoirien, Alassane.
Ouattara, s’est entretenu par téléphone avec l’opposant Guillaume Soro
dans la soirée du vendredi 29 mars.
L’échange s’est tenu à l’initiative de l’ancien président de l’Assemblée
nationale ivoirienne, alors qu’Alassane Ouattara avait regagné Abidjan quelques heures plus tôt, après un séjour de deux semaines en France Ce premier entretien, qui a duré un peu plus d’une quarantaine de
minutes, a été suivi d’un second échange téléphonique entre les deux hommes
dans la matinée du samedi 30 mars.
« Réconciliation »
Lors de ces deux appels, Guillaume Soro, en exil depuis 2019, a directement
évoqué ses « regrets », tout en se montrant disposé à œuvrer pour la
« réconciliation ». De son côté, Alassane Ouattara s’est dit prêt à le « pardonner ».
Les deux hommes ont par ailleurs convenu d’échanger de nouveau afin de
définir les contours que pourrait prendre cette « réconciliation ». Ces contacts interviennent par ailleurs presque un mois jour pour jour après
la libération, fin février, par Alassane Ouattara, de plusieurs lieutenants de
Guillaume Soro emprisonnés, à l’instar de son ancien influent directeur de
protocole, Souleymane Kamaraté, alias « Soul To Soul ».
Une libération saluée par Guillaume Soro lors de son échange avec le président ivoirien.
Il s’agit du premier échange entre Alassane Ouattara et Guillaume Soro depuis
près de cinq ans. En rupture avec le président ivoirien, l’ancien leader étudiant avait quitté la Côte d’Ivoire en février 2019 en vue préparer sa candidature à l’élection présidentielle, prévue l’année suivante. Accusé de « tentative d’atteinte à l’autorité de l’État et à l’intégrité du territoire national ».
il n’avait finalement pas pu se présenter à la course à magistrature suprême.
Au lendemain de la réélection d’Alassane Ouattara, en novembre 2020,
Guillaume Soro avait publiquement appelé, depuis Paris, l’armée ivoirienne à
« agir » contre la « dictature clanique d’Alassane Ouattara ».
Quasi-clandestinité
Une sortie qui avait suscité l’ire de la présidence ivoirienne. Visé par un
mandat d’arrêt international émis par la justice ivoirienne, le fondateur deGénérations et peuples solidaires (GPS) a vécu dans la quasi-clandestinité pendant près de quatre ans. Il a notamment séjourné en Belgique, en Suisse, en Espagne, aux Émirats arabes unis ou encore en Russie (AI du 04/11/22).
Courant 2023, il avait également été localisé au Tadjikistan (AI du 16/11/23).
En novembre dernier, il avait fait une apparition publique très remarquée à Niamey, où il avait été reçu avec tous les honneurs par le président de la transition, le général Abdourahamane Tchiani. Il est depuis installé entre la capitale nigérienne et Bamako. Il dispose de solides appuis au sein de la junte malienne, et tout particulièrement du patron de la Sécurité d’État (SE),Modibo Koné.
Si Alassane Ouattara et Guillaume Soro n’ont pas directement évoqué à ce stade un retour formel de l’opposant en Côte d’Ivoire, le sujet a figuré en filigrane des discussions. Alassane Ouattara n’exclut pas la possibilité de lui remettre un passeport ivoirien en vue d’ouvrir la porte à un tel scénario.
Depuis plusieurs mois, le président ivoirien prend déjà en charge les frais de santé de plusieurs proches de Guillaume Soro présents à Abidjan.
Pour l’heure, l’ex-premier ministre est toujours sous le coup d’une condamnation à la prison à la perpétuité de la cour d’assises d’Abidjan de
juin 2021 pour « complot » et « tentative d’atteinte contre l’autorité de l’État ». Sa résidence à Abidjan ainsi que certains de ses biens ont été confisqués par l’État ivoirien.
Pourparlers de paix
Depuis 2019, plusieurs tentatives de médiation pour tenter de réconcilier Guillaume Soro et Alassane Ouattara avaient échoué. En 2021, le président congolais, Denis Sassou-Nguesso, qui connaît personnellement Guillaume
Soro depuis plus de deux décennies, s’était montré disposé à parrainer une telle manœuvre (AI du 06/09/21). Il avait même rencontré secrètement
Plus récemment, le chef de l’État togolais, Faure Gnassingbé, s’était également saisi du dossier avec l’accord d’Alassane Ouattara, avec lequel il s’est entretenu en février lors d’un bref séjour à Abidjan. Faure Gnassingbé a notamment conseillé à Guillaume Soro de cesser les attaques publiques contre le président ivoirien.
À l’instar de Denis Sassou-Nguesso, Faure Gnassingbé est aussi une vieille connaissance de l’ancien patron de Fédération estudiantine
et scolaire de Côte d’Ivoire (Fesci) : ils se sont connus en 2002, alors que Lomé
accueillait les pourparlers de paix entre le gouvernement ivoirien et groupe
rebelle des Forces nouvelles (FN), dirigé par Guillaume Soro. Faure Gnassingbé avait été introduit auprès de l’ex-leader étudiant de six ans son cadet par son père Eyadema Gnassingbé, alors président du Togo.
Dernier opposant
Guillaume Soro est jusqu’à maintenant le dernier opposant ivoirien en
rupture totale avec Alassane Ouattara. En faisant le pari de l’opposition
radicale, il s’était de facto retrouvé isolé sur la scène politique ivoirienne. De leur côté, les principaux leaders politiques du pays que sont Henri Konan Bédié, décédé le 2 août 2023, et Laurent Gbagbo avaient, chacun à sa façon, repris langue avec le chef de l’État.
Cette reprise du dialogue avec Guillaume Soro offre désormais à Alassane Ouattara la possibilité de parachever son processus de « réconciliation nationale », lancé en 2020, au moment où se profile l’élection présidentielle de 2025.