Après la débâcle aux municipales et régionales du 2 septembre 2023, il vient de boire le calice jusqu’à la lie aux partielles (régionales et municipales) du 2 décembre dans dix circonscriptions électorales.
En alliance avec le PDCI-RDA (municipales à San-Pedro) ou seul en lice (régionales dans le Guémon, municipales à Gohitafla et Kouibly), le parti de Laurent Gbagbo a été sèchement battu, occupant même la dernière place sur sept listes à Gohitafla.
La note se révèle encore salée et c’est un silence de cathédrale. Les arguments de « fraude électorale », « partialité des éléments des forces de l’ordre » et de « parti-pris de la CEI », brandis hier pour rejeter les résultats de la déroute du 2 septembre et espérer cacher le soleil avec la main, ne sont plus évoqués.
En effet, le RHDP, parti au pouvoir, n’a remporté que les partielles dans la région du Guémon et les communes de Koumbala et Kouibly. En attendant Ferkessédougou où une liste indépendante a les faveurs des résultats, partout ailleurs, à Dabakala, Gohitafla, Sarhala, San Pedro et Tiassalé, ce sont les listes sans étiquette, qui ont effectué un raz-de-marée.
Laurent Gbagbo, comprenant l’étendue de la catastrophe, avait choisi de faire le ménage. Mais, le 23 octobre 2023, au lieu de chamboulement et de solutions pour crever l’abcès, il a procédé, par le jeu de chaises musicales, à une simple révolution de palais.
D’une part, il a fait de… l’ancien avec du vieux. Il a reconduit sa même ancienne et vieille équipe, changeant de place aux uns et promouvant d’autres à des postes. Du saupoudrage, sans aucune cure de jouvence et aucun renouvellement avec des visages neufs et porteurs.
D’autre part, Gbagbo a gardé le même édifice institutionnel. Ainsi, à côté de la Présidence, il y a toujours la Présidence exécutive, le Secrétariat général, le Conseil stratégique et politique (CSP), le Conseil politique permanent (CPP), etc.
Le comble, il n’existe aucune coordination entre ces structures et organes, qui donnent apparemment fière allure. Ils sont juxtaposés, chacun jaloux de leur parcelle de pouvoir, au point que le PPA-CI laisse l’impression d’une machine en pièces détachées.
Les élections locales mettent les pendules à l’heure. Elles ont trois significations: la vieille garde paraît dépassée, le seul nom Gbagbo ne fait presque plus recette si le parti a perdu tous ses bastions, et la stratégie adoptée, sur le modèle du disque rayé, ne fait plus rêver.
Le PPA-CI se retrouve à la croisée des chemins. Pour rebondir, il n’a d’autre alternative que de se faire hara-kiri, en changeant radicalement de logiciel et de tactique. Et comme le disent les Ivoiriens, « on veut nouveau. »
Cela va imposer que l’ancien chef de l’État, même s’il ne fait plus du poste de président de la République « une obsession », reste au front pour conduire le combat. Pas seulement en autarcie, mais en ouvrant les bras.
Le 23 août 2023, il a pourtant surpris tout le monde. « Mon rôle n’est pas d’organiser la Gauche ivoirienne ni l’opposition ivoirienne. Mon rôle est de conduire mon parti au pouvoir, » déclarait-il, en porte-à-faux avec les réalités du terrain et sa propre expérience.
En effet, c’est parce que, dans le contexte actuel, aucun parti ne peut remporter seul la présidentielle que quatre partis d’opposition, le PDCI-RDA, le RDR, l’UDPCI et le MFA, ont fondé le RHDP, une coalition en mai 2005. De son côté, le FPI, au pouvoir, portait sur les fonts baptismaux, la Ligue de la majorité présidentielle (LMP) et le CNRD, pour un second mandat en 2010.
L’expérience a été malheureuse et la perte du pouvoir d’État a laissé des souvenirs amers à Gbagbo. Il n’a pas encore pansé ses plaies résultant du départ de Mamadou Koulibaly, qui a créé son parti (LIDER), de sa rupture politique controversée avec Pascal Affi N’Guessan, qui garde le FPI, et de son divorce mouvementé d’avec Simone Éhivet-Gbagbo, son ex-épouse et membre des instances du parti, qui a fondé son parti, le MGC.
Laurent Gbagbo est un écorché vif. Mais en jetant l’éponge sur les grands enjeux, il trahit sa propre lutte. Car, si le Front populaire ivoirien (FPI) a vu le jour, en 1988 dans la clandestinité, c’est grâce à sa bataille pour rassembler, d’Abidjan à Paris en passant par Strasbourg, plusieurs courants politiques de Gauche.
Et il ne s’est pas arrêté là. Depuis la proclamation du multipartisme, il a participé à plusieurs alliances politiques contre le régime du PDCI-RDA, dont les plus connues sont la Coordination de la Gauche démocratique, en 1990, et le Front républicain, en 1995.
Depuis son retour définitif, le 17 juin 2021, au pays et la création de son nouveau parti, le Parti des peuples africains – Côte d’Ivoire (PPA-CI), Gbagbo s’est rapproché d’Henri Konan Bédié, président de l’ex-parti unique, pour sceller une alliance non idéologique.
Cet accord des deux partis dans l’opposition est un panier à crabes, qui connaît des fortunes diverses. Ces deux formations, qui n’ont pas la même idéologie politique, refusent, dans leur guerre de leadership comme à Gagnoa et Yopougon, de se faire la passe et de dérouler le tapis rouge à… l’adversaire d’en face.
La disparition de Konan Bédié annonce la mort programmée de cet amour de raison. Et sur l’échiquier, il reste l’émiettement d’une Gauche en ordre dispersé, dont les partis ont un objectif principal: se combattre férocement entre eux et se livrer en pâture, dans l’esprit de vengeance qui anime les uns et les autres.
Certains se sont rapprochés du RHDP, mais réalisent qu’ils sont victimes d’un marché de dupes. D’autres, en cavalier seul ou dans des accords sans tête ni queue, découvrent qu’ils se sont lancés dans des aventures ambigües.
Par conséquent, aucune partie ne sort gagnante de l’actuelle guerre fratricide. Pendant que les partis de la Droite (RHDP et PDCI-RDA) mettent les bouchées doubles et se préparent pour la présidentielle de 2025, ceux de la Gauche, anémiés, alignent défaite sur défaite et sont rayés de la carte électorale.
Gagnés tous par le péché d’orgueil, qui plombe toute initiative de réconciliation politique, ils se retrouvent tous pourtant et de plus en plus, face à leur destin: faire table rase des inévitables différends du passé, avant d’être balayés. Et le moteur de ces retrouvailles d’amour et de cette paix des braves, par son histoire, son charisme et son aura est Laurent Gbagbo. À leurs dépens, ils vont comprendre que « seul, on court plus vite mais ensemble, on va plus loin ».
F. M. Bally (JOURNALISTE)