Afrikexpress-Dans cette communication, le journaliste Ferro Bally analyse la situation politique actuelle en Côte d’Ivoire à travers le prisme de la possible candidature de deux poids lourds de l’opposition, Laurent Gbagbo et Tidjane Thiam, pour l’élection présidentielle d’octobre 2025.
Selon Bally, ces deux figures se trouvent dans une position difficile, prises dans un enchevêtrement juridique et politique, avec leurs destins dépendants du président Alassane Ouattara. Tout en mettant en lumière les obstacles légaux et administratifs auxquels ils sont confrontés, notamment la question de leur nationalité, le journaliste explore comment Ouattara pourrait manipuler les règles à son avantage, dans le but de garantir sa réélection ou de désavantager ses rivaux. L’auteur évoque également les implications pour l’opposition, qui doit envisager des alternatives face à une situation incertaine et potentiellement injuste.
Ci-dessous Sa communication
PIEDS ET POINGS LIÉS. Alassane Ouattara entretient le suspense sur sa quatrième candidature illégale et anticonstitutionnelle, mais il peut boire du petit lait.
Il a, entre ses mains, le sort de ses deux principaux adversaires: Laurent Gbagbo, son prédécesseur à la tête de l’État, et Tidjane Cheick Thiam. Et dans le jeu du chat et de la souris auquel il se livre, Ouattara utilise, selon les circonstances, la carotte ou le bâton afin de donner d’une main et l’arracher de l’autre.
Ainsi, le régime ne s’est même pas montré regardant sur les dispositions de la loi n°93-668 du 9 août 1993 relative aux partis et groupements politiques. Son article 8 dispose: « Les membres fondateurs et dirigeants des partis ou groupements politiques doivent être de nationalité ivoirienne et jouir de leurs droits civiques et politiques. »
Le pouvoir en place a alors autorisé que Gbagbo crée, le 17 octobre 2021, un nouveau parti (le PPA-CI) et le dirige. Il n’a trouvé aucun inconvénient à ce que Thiam devienne, le 22 décembre 2023, le successeur de Konan Bédié à la tête du PDCI-RDA.
C’était le calme avant la tempête. « Si Laurent Gbagbo s’inscrit mille fois, il sera rayé mille fois de la liste électorale, » a tonné Coulibaly-Kuibiert Ibrahime, président de la CEI, pour ranger parmi les parias celui que la ministre d’État Anne-Désirée Ouloto a baptisé « hors-la-loi ».
Condamné opportunément à 20 ans de prison dans l’affaire ourdie du « braquage de la BCEAO », à l’effet d’effacer les effets de son acquittement à la CPI, Gbagbo a été rayé de la liste électorale, au nom de l’article 4 de l’ordonnance n°2020-356 du 8 avril 2020 portant révision du Code électoral.
Dépouillé de ses droits politiques et civiques, Gbagbo n’est ni électeur ni éligible.
Thiam n’est pas logé à meilleure enseigne. Ayant acquis, depuis des lustres, la nationalité française à sa minorité, il n’est donc pas frappé par l’article 48 de la loi n°61-415 du 14 décembre 1961 portant Code de la nationalité ivoirienne telle que modifiée par plusieurs lois dont celle n°2013-654 du 13 septembre 2013, qui ne reconnaît pas la double nationalité, sauf pour les enfants qui la subissent à leur naissance.
Mais en l’état actuel, Thiam n’est pas éligible, comme Gbagbo. Il est électeur mais ne peut, à l’instar de Gbagbo, briguer la magistrature suprême, car il lui faut être Ivoirien, à titre exclusif, selon les dispositions de l’article 55 nouveau de la Loi fondamentale n°2020-348 du 19 mars 2020.
Élu pourtant, en décembre 2023, au 8è Congrès extraordinaire de l’ancien parti unique, à Yamoussukro, qui l’a désigné pour défendre ses couleurs à l’élection présidentielle du 25 octobre 2025, ce n’est qu’à neuf mois de cette échéance que Thiam introduit sa demande de renonciation à la nationalité française. Comme s’il voulait se faire hara-kiri.
Cette procédure de libération des liens d’allégeance vis-à-vis de la France et son pendant, la réintégration dans la nationalité ivoirienne, ne sont pas un jeu d’enfant. Ils pourraient se révéler un parcours du combattant, avec deux obstacles qui se dressent.
Aussi bien en France, pour la renonciation (article 23-4 du Code civil français) qu’en Côte d’Ivoire, pour la réintégration (article 34 de la loi sus-citée portant Code de la nationalité ivoirienne), il faut un décret du président de la République, qui paraît au journal officiel.
Et exactement comme le Franco-Sénégalais Karim Wade, candidat du PDS, qui a joué avec le feu pour être éliminé à l’élection présidentielle du 24 mars 2024, Thiam s’est mis sous une forte pression.
La libération des liens d’allégeance n’est pas automatique; la demande pouvant être rejetée par les autorités françaises. De plus, le processus, engagé officiellement en février 2025, peut s’avérer long et parsémé d’embûches en raison des enjeux politiques.
De ce fait, pris dans un engrenage, Laurent Gbagbo et Tidjane Thiam sont pieds et poings liés; leur destin dépendant, sur le territoire ivoirien, du chef de l’État, leur adversaire politique. Ce d’autant plus que Alassane Ouattara peut redouter, à juste titre, une triangulaire dont il n’est pas sûr de sortir vainqueur.
Quant à manoeuvrer alors, sous divers prétextes pour ne point accorder l’amnistie à Gbagbo et ne guère signer le décret de réintégration de Thiam dans la nationalité ivoirienne, pour laisser sur la touche ces deux rivaux, il n’y a qu’un pas que Ouattara pourrait franchir, en misant sur le rapport des forces en sa faveur. Objectif, ouvrir le boulevard au candidat du RHDP, surtout qu’il n’a cédé sur aucune des revendications de l’opposition pour un scrutin crédible et transparent.
Et dans cette mauvaise passe, il reste au PDCI-RDA et au PPA-CI à réfléchir à toutes les options possibles en mettant sur la table un sujet tabou: le plan B. Car, comme l’enseigne Miguel Cervantes, il faut se garder de mettre tous ses oeufs dans le même panier.
F. M. Bally